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Le jour d’après

La première nuit dans un vrai lit

Elle a été courte (rires), car on a fêté la victoire hier soir assez tardivement, et beaucoup dansé. Avant, il y a eu les interviews, le podium, un vrai repas frais, la conférence de presse, une bonne douche. Ce matin, les rendez-vous avec les journalistes ont commencé tôt, et ensuite je suis allé accueillir Alex Thomson (Hugo Boss). Mais c’est une nuit qui a fait du bien. Il n’y a pas eu besoin de me bercer… C’est le réveil qui a été plus compliqué !

L’inconfort à bord

Nous sommes des régatiers et il faut accepter de vivre dans des bateaux dont le confort n’est pas franchement la priorité, notamment pour des questions de poids. Ça fait partie de la course. Si je voulais faire un tour du monde pour faire un tour du monde comme certains le font – ce dont je ne m’offusque pas ! -, il me suffisait d’emporter plus de coussins, plus de moquettes ou tout un tas de choses…  J’avais un poste de veille dans le cockpit très ergonomique, bien protégé par la casquette et redoutablement efficace. J’ai passé énormément de temps dans mon siège et c’était très confortable. À l’intérieur, on pourrait toujours rajouter un peu de confort pour la navigation, de petits détails de vie à bord, mais bon au final, je ne me suis jamais plaint d’un manque de confort.

L’hygiène

Il est important d’essayer de prendre un peu soin de soi, de se laver tant bien que mal. C’est surtout au niveau des extrémités – les mains, les pieds, la tête – plus la bouche et les dents, où il ne faut pas attendre d’avoir trop mal pour commencer à se soigner ou nettoyer tout ça. Mes mains ont beaucoup souffert, mais ce n’est pas nouveau car depuis pas mal d’années ma peau s’abîme vite. Dans les mers du Sud, chaque fois que j’allais dormir, je m’enduisais les mains de crème. En fait, là où l’on rencontre le plus de problèmes d’hygiène ou d’inconfort, c’est quand il fait très chaud, notamment sous les tropiques dans la remontée de l’Atlantique. La chaleur moite créant de la condensation à bord, cela engendre rapidement des problèmes cutanés. Il fait, au bas mot, 35 degrés dans la cabine et tu ne peux pas te mettre au frais. À l’aller, tu es encore au taquet et ça va vite au portant. Au retour, c’est autre chose car un tu es fatigué, et la remontée est fastidieuse et complexe. Le fait d’avoir effectué deux Vendée Globe permet de savoir où tu vas, et ce qu’il faut amener. Cette année, je n’ai manqué de rien.

Le suivi de l’actualité

On m’envoyait des news à bord, et donc j’avais un petit résumé de la semaine que ce soit pour les actualités générales et les résultats sportifs. J’ai notamment suivi les élections américaines (avec effroi), l’attentat de Berlin et la mort de Fidel Castro. J’ai été rassuré qu’il n’y ait pas eu de nouveau drame national comme ce qu’on a connu à Paris ou Nice. C’est important même sur un Vendée Globe de ne pas se couper de la réalité. On a des moments où l’on peut prendre cinq minutes pour lire un mail ou aller sur Internet. J’allais sur le site du Vendée Globe, sur celui de Voiles et Voiliers lire l’analyse de Dominique Vittet… ou sur d’autres sites où chacun y allait de son option. J’ai parfois lu d’ailleurs pas mal de bêtises.

Les loisirs

J’ai écouté un peu de musique, mais beaucoup de podcasts comme « Les Grosses Têtes. » Il y a de l’ambiance et des gens qui parlent. Car s’il n’y a jamais vraiment de silence à bord, par moment tu éprouves de la monotonie, et moi j’ai besoin d’avoir un fond sonore. J’ai cette chance de ne pas être gêné par le bruit assourdissant de nos bateaux. J’ai aussi regardé des séries (The blacklist et Band of Brothers). Ces fictions à partir d’événements historiques et dramatiques permettent de relativiser. Tu n’as pas à te plaindre si c’est dur ou si tu n’y arrives pas. Il y a des moments dans la journée où il faut se poser un peu. Tu regardes un épisode sur l’iPad avec le casque, tu manges un morceau, tu as les afficheurs (ta vitesse, le pourcentage de la polaire) et s’il faut, tu mets en pause et tu vas modifier ton réglage ou manœuvrer.

L’entourage

J’appelle ma femme et mes enfants (âgés de 9 et 5 ans) très régulièrement. Ça dépend de l’ambiance à bord. Si c’est très bruyant, c’est compliqué d’avoir une bonne qualité de son. On ne s’entend pas bien, les enfants ne comprennent pas… et là c’est pire que de ne pas les joindre. On a fait aussi quelques visios sur Skype pour se voir physiquement à l’occasion d’un anniversaire, ou pour Noël… Quand tu es seul en mer, non seulement, ça fait du bien mais ça te remet aussi en face de certaines réalités.

Le meilleur souvenir

C’est l’arrivée bien sûr ! Je me dirige à l’étrave de Banque Populaire à quelques centaines de mètres de la ligne, et là je me dis « c’est bon, t’as gagné ! ». Je lève les bras ! C’est un sentiment énorme, un soulagement, un moment indescriptible de plénitude.

Le pire souvenir

Quand j’apprends que les hooks (crochets dans le haut du mât tenant les voiles) sont sous dimensionnés, et peuvent se rompre à tout instant après le bris de celui du J1 (le grand foc). Là, je me dis que la course est compromise et que du pacifique Sud aux Sables, je vais naviguer avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

L’engagement pour des causes nobles

Quand je m’engage, je prône la fidélité et la persévérance, que ce soit des partenaires techniques avec qui je travaille, ou des associations comme Alliance Syndrome de Dravet (ASD) que je soutiens depuis cinq ans. De pouvoir faire de petites choses et d’apporter un peu de bonheur, pour moi c’est important. J’ai encore en souvenir d’avoir passé quelques heures avec les enfants avant le départ, et ça m’a servi. Je mesure notre chance. On voit qu’ils se battent, leurs parents aussi. Ces gens ont une volonté incroyable. ASD m’a offert un petit bonhomme qui était au-dessus de l’écran de la table à carte et qui m’a accompagné et a fait tout le tour du monde à me surveiller… tout un symbole !

Thomas Coville

Ce qu’il a fait est extraordinaire ! Il m’a boosté, m’a envoyé de petits messages après son arrivée, me disant « De toute façon c’est toi qui va gagner ! J’en suis sûr et certain ». J’y ai souvent pensé car il a été un peu notre guide sur ce tour du monde.

L’émotion

Je suis toujours dans l’émotion de l’arrivée, même si ce n’est pas la même que sur la ligne où j’étais partagé entre l’envie de pleurer et une immense joie. C’est très fort, car c’est incroyable de gagner le Vendée Globe. Je n’ai pas eu cette chance il y a huit et quatre ans avec de belles deuxièmes places. Comme on dit, seule la victoire est belle ! Et là, je mesure ma chance de l’avoir remportée avec toute une équipe et un sponsor magnifique. On s’est donné les moyens. C’était l’objectif clairement annoncé. L’émotion est donc à la hauteur de cette réussite.

Alex Thomson

Il m’a clairement poussé jusqu’au bout, jusqu’à quelques heures avant l’arrivée. Ça a été compliqué et la bagarre a été intense. La descente de l’atlantique a été très rapide. Alex a prouvé son potentiel de vitesse et a su faire la différence. Il a fallu que je m’accroche face à ce train d’enfer qu’il imposait. Alex m’a mis beaucoup de pression. Je sentais qu’il ne lâchait rien non plus. Il a fini 3ème il y a quatre ans, 2ème cette année. Je suis vraiment content de l’avoir battu, car c’est un sacré client !

La remontée de l’Atlantique

Elle ne m’a pas du tout été favorable ! L’ anticyclone : je me suis dit bon ok ! Il va me reprendre 600 milles, c’est bon ! Le Pot-au-Noir : ok ça ne marche pas, c’est bon ! Puis après il y a eu cette zone de transition après les Canaries : là, je me suis dit que ce n’était pas possible ! J’ai la « scoumoune »… Et pour finir on fait le tour quasiment par le Fastnet. Je me suis demandé si on n’allait pas aller tutoyer les icebergs.

Banque Populaire VIII

Ce bateau, c’est une super histoire ! Il est né du dernier Vendée Globe. Le projet était d’en construire un nouveau, fruit de l’expérience de deux tours du monde et de ma « dream team » avec leur savoir-faire et leurs compétences multiples. C’est de loin le meilleur 60 pieds que je n’ai jamais eu en terme de performance, de fiabilité, de développement. C’est un bateau très polyvalent, et pour moi c’était très important dans les phases de transition. Banque Populaire VIII est un bateau qui, je crois, me ressemble. Et à l’arrivée, il avait fière allure, et c’est pour ça que je l’ai vivement remercié. On a vécu ensemble toute une histoire. Je dis « on » car c’est lui, l’équipe Banque Populaire et moi.

Le mental

Lors de mon premier Vendée Globe en 2009 j’étais arrivé épuisé, j’avais perdu pas mal de kilos car j’avais mal géré la nourriture, et n’avais plus rien à manger à quatre jours de l’arrivée. Il y a quatre ans, j’étais en forme physiquement, mais déçu. Cette année mentalement, je suis allé très loin dans mes ressources. Je me suis fait violence car je me suis dit que je ne pouvais pas perdre cette course. Je me suis battu jusqu’au bout. Je ne voulais pas avoir le moindre regret ensuite.

Les jours à venir

C’est un projet de dix ans, dix ans de ma vie : trois fois le Vendée Globe et trois fois jusqu’au bout. Je profite. Je savoure, mais je suis très sollicité, j’ai un programme de ministre jusqu’au milieu de semaine prochaine… C’est logique et gratifiant, mais plus difficile à gérer pour la famille qui ne m’a pas vu depuis des semaines et pour mes enfants qui ne comprennent pas que je sois rentré mais toujours pas disponible. Dans quelques jours je vais souffler. Je n’ai pas prévu de naviguer jusqu’à l’été et la mise à l’eau du trimaran. Je vais donc pouvoir à nouveau « vivre normalement » faire les courses, aller chercher mes enfants à l’école. Pour les vacances de février, on n’a encore rien de prévu… car tant que la course n’est pas finie, tu te dis que tu ne vas rien programmer. Mais là, promis je vais m’en occuper.

Jeudi 19 janvier 2017, le skipper du Mono Banque Populaire VIII, a franchi la ligne d’arrivée à 16h 37min et 46sec, après 74j, 3h, 35min et 46s de course.
Il a parcouru 27 455.64 milles soit 44 185,5695 km, à une vitesse moyenne de 15,41 nœuds.
Armel améliore le temps de référence de 3j 22h et 41m.

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