Coupe de l'America : Son histoire

Le 22 août 1851 dans les eaux vertes du Solent, une régate amicale entre clubs huppés, est organisée en marge de la première exposition universelle de Londres et à l’initiative du Royal Yacht Squadron.
14 yachts de tailles différentes y participent. Le premier bouclant le tour de l’île de Whight en temps réel sera déclaré vainqueur et remportera le trophée baptisé « Coupe de Cent Guinées » conçu par le prestigieux joailler Robert Garrard. Sous le regard de la Reine Victoria qui suit la course avec passion sur son yacht, la goélette America menée par John Cox Steven devance au final de 8 minutes le bateau britannique Aurora, bien plus petit.
Il se murmure que les Américains n’ont pas respecté certaines marques de parcours, et que si la course s’était disputée en temps compensé*, les Anglais auraient gagné… La Reine demandant qui a terminé derrière America se serait vu répondre : « Majesté il n’y a pas de second… » la légende est en route.
Les Américains repartent avec le trophée qu’ils vont baptiser Coupe de l’America quelques mois plus tard. Désormais, pour s’emparer de l’aiguière d’argent, il faut se rendre sur la côte Est des Etats-Unis et respecter le règlement imposé par les vainqueurs, qui se nomme « deed of gift**». La Coupe de l’America est née, mais se disputera seulement après la guerre de Sécession en 1870.
165 ans d’innovations technologiques
L’épreuve attire les magnats de l’industrie et de la finance, qui s’attachent les services des plus grands architectes navals du moment, tels que l’Ecossais William Fife ou Nathanael Herreshoff surnommé le « sorcier de Bristol ». Ces génies exploitent au début des années 1900 les lacunes du règlement et dessinent des bateaux sublimes et innovants jusqu’à l’avènement des Class J (gigantesques voiliers de 120 pieds surtoilés).

Le Britannique Sir Thomas Lipton, roi du thé, dépense sans compter, arme les bateaux les plus sophistiqués… mais ne parviendra jamais à remporter la Coupe de l’America. L’épreuve reste une chasse gardée américaine, et devient le laboratoire de l’innovation technologique. L’acier puis l’aluminium vont remplacer le bois, le coton le lin, les câbles en acier le chanvre. Les winches permettant de border les voiles vont bientôt faire leur apparition, tout comme les « colonnes de moulin à café ». Ces merveilleux Class J (dont certains aujourd’hui ont été intégralement reconstruits et continuent à naviguer) se nomment Ranger, Shamrock, Astra, Cambria, Endeavour, Rainbow, Enterprise, Velsheda… et les plus grands skippers ont pour nom Charlie Barr ou Harold Vanderbilt, tous deux triples vainqueurs.
La jauge évolue au fil des éditions tous les 4 ans, et l’apparition des 12 Mètre Jauge Internationale (MJI), « couloirs lestés » de 20 mètres, va accélérer le mouvement dès 1958 en remplaçant les énormes Class J. Le jeune et talentueux architecte Olin Stephens dessine le merveilleux Columbia, intouchable dans ses eaux. Quatre ans plus tard, les australiens viennent se mêler à la fête avec Gretel, mais mesurent le chemin qu’il reste à parcourir pour vaincre les Américains.
Les Australiens mettent fin à 132 ans d’invincibilité
Le milliardaire américain Ted Turner, fondateur de CNN, n’est pas qu’un homme d’affaires avisé. Il est aussi un grand barreur et remporte l’épreuve sur Courageous. Le Baron Marcel Bich, inventeur du stylo à bille, du briquet et du rasoir jetable, régatier passionné, arme les France 1,2 et 3 de 1970 à 1980. Finaliste de la Louis Vuitton Cup qu’il a initiée (sélections des challengers) avec à la barre Bruno Troublé, il est battu par les Australiens, eux-mêmes défaits une nouvelle fois par les Américains à Newport (Etats-Unis).
Il faut attendre 1983 lors de la 25ème édition pour voir le challenger battre le defender américain après 132 ans d’invincibilité ! Australia II barré par John Bertrand s’impose face à Liberty de Dennis Conner au bout d’un suspense haletant et par 4 manches à 3.
La révolution est en marche ! Le Kevlar a désormais remplacé le Dacron dans les voiles, et tous les architectes adoptent la fameuse quille permettant d’améliorer l’évolutivité de ces bateaux à forte inertie.
La Coupe de l’America quitta Newport pour Fremantle en Australie. Et Dennis Conner, premier skipper Américain ayant perdu la « Cup » chez lui, va prendre sa revanche, reprenant son bien sur Stars and Stripes dans la forte brise face au defender Kookabura. Cette édition exceptionnelle voit aussi l’arrivée d’un jeune prodige néozélandais du nom de Chris Dickson, qui mène le premier 12 MJI non plus en aluminium mais en polyester en finale des challengers. Il révèle aussi un certain Marc Pajot à la tête du bateau French Kiss, demi-finaliste et meilleur challenger européen, mais sonne le glas des fameux 12 MJI.
Un an plus tard, en 1988, les Néozélandais (du moins leurs juristes) identifiant une faille dans le célèbre « deed of gift », lancent un défi aux Américains, dans la plus pure tradition des premiers duels. Ils décident d’armer un gigantesque monocoque de 36 mètres… mais les Américains optent pour un catamaran de 18 mètres muni d’une aile et remportent aisément l’épreuve en deux manches sèches.

L’arrivée des Class America et le triomphe des Kiwis
Après cet imbroglio juridique guère reluisant, la jauge accouche d’un nouveau monocoque moderne et très puissant de près de 22 mètres, le Class America. Des coques aux mâts et même aux voiles, le carbone débarque dans la Coupe.
À San Diego en 1992, l’Américain Buddy Melges l’emporte, mais trois ans plus tard les Néozélandais autour de Peter Blake et Russell Coutts dominent cette fois largement les Américains sur Black Magic.
Pour la seconde fois, la Coupe quitte le continent américain. Cinq ans plus tard à Auckland, les Kiwis défendent brillamment leur bien, écrasant les Italiens de Prada, avant de céder la Coupe en 2003 face aux Suisses d’Alinghi…
Comme les Suisses d’Ernesto Bertarelli n’ont pas de « mer », ils s’installent à Valence en Espagne, et conservent leur bien après une édition passionnante. Mais la Coupe ne serait pas la Coupe sans ses procès récurrents et ses milliers de dollars en honoraires d’avocats. Les Américains lancent alors un défi aux Suisses en 2010, selon le protocole originel en deux manches… mais cette fois sur un immense trimaran ailé qui ne laisse aucune chance aux Suisses. À bord de BMW Oracle, le régleur de l’aile est Marseillais, il se nomme Thierry Fouchier et est le premier Français vainqueur de la Coupe de l’America.
Trois ans plus tard dans la baie de San Francisco, la 34ème édition s’annonce palpitante à bord de catamarans de 72 pieds munis de foils, et qui désormais volent sur l’eau à des vitesses ahurissantes.
L’incroyable remontée des Américains
La finale entre les néozélandais et les américains magnifie un peu plus le plus vieux trophée sportif du monde, offrant le plus grand retournement de l’histoire de l’épreuve. Menés 8 à 0, l’équipage d’Oracle revient, on ne sait comment, à égalité, pour l’emporter 9 à 8 après un incroyable suspense.
La Coupe de l’America est désormais un spectacle télévisuel compréhensible par tous, et n’est plus réservé aux initiés. Mais les budgets sont tels que l’érosion de candidats à la conquête de la Coupe se poursuit.
Le Néozélandais Russell Coutts, quintuple vainqueur de l’épreuve et désormais aux commandes d’ACEA qui organise la course, propose de limiter la taille des bateaux à 50 pieds pour la 35ème édition. Celle-ci à depuis le 26 mai 2017 à Hamilton aux Bermudes, un archipel dans l’océan Atlantique. Afin de limiter les coûts, les syndicats ne peuvent construire qu’un seul bateau et doivent respecter un planning de navigation imposé. Mais tous contournent la règle, mettant en œuvre un Class AC Test plus court de 5 pieds, mais qui ressemble à s’y méprendre au bateau qu’ils vont utiliser en course. Si les coques et l’aile sont monotypes, les systèmes de contrôle des foils sont libres, et induisent des budgets de développement délirants.
Les français de Groupama Team France, sous la houlette de Franck Cammas, font partie des cinq challengers. La France qui a participé à toutes les éditions depuis 1970 sauf celle de 2013, est bien présente, tout comme les Anglais, qui eux reviennent après 30 ans d’absence… et qui rêvent enfin de reprendre le trophée qui leur a échappé en cette fin d’été 1851. La Coupe de l’America reste l’une des courses les plus prestigieuses des courses à la voile, et entretient sa légende.
* Temps compensé : Lorsque des bateaux de tailles différentes régatent ensemble, il est attribué un rating (handicap) afin que la course soit équitable. Plus le bateau est grand, et plus il rend du temps à des bateaux plus petits. Ce handicap se présente sous la forme d'un coefficient multiplicateur qui est calculé sur le temps réel. C’est à dire, un bateau de 10 mètres peut terminer 5ème en temps réel mais 1er en temps compensé.
En France ils existent deux jauges qui régissent le temps compensé : l'IRC (UNCL) et l'Osiris (FF Voile).
**Traduction littérale de « Deed of gift » : Acte de dotation