La médecine et la course au large

Quand ils partent en mer, les marins, en particuliers les solitaires, doivent pouvoir se transformer en médecin ou infirmier. Ils embarquent non seulement une trousse à pharmacie conséquente mais apprennent aussi à recoudre une plaie, poser une attelle, réduire une fracture… et révisent les gestes vitaux en cas d’accident.
Dans le milieu de la course au large, il est incontournable. Durant plusieurs décennies, il a été le médecin de la Solitaire du Figaro, accompagnant la flotte des solitaires sur son propre bateau de croisière lors de chacune des étapes. Le docteur Jean-Yves Chauve, ancien urgentiste et aussi marin depuis toujours, « dispute » cette année son 8ème Vendée Globe consécutif en tant que médecin officiel.
Pendant toute la durée de la course il exerce à distance. Il ne lâche jamais son téléphone portable, qu’il connecte à un ampli pour être sûr d’entendre la sonnerie. Il a installé une puissante alarme près de son lit et se réveille toutes les deux heures afin de vérifier si un coureur n’a pas laissé un message sur son portable ou ordinateur. Grâce au téléphone satellite ou aux e-mails, les skippers savent qu’ils peuvent le joindre 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Sur les 60 pieds IMOCA, le cœur est très sollicité
Jean-Yves Chauve
Sa mission commence bien avant le départ de la course, puisque Jean-Yves Chauve reçoit les dossiers médicaux de chaque skipper avec notamment les examens concernant toute la fonction cardiaque, un test d’effort et une échographie. « Sur les 60 pieds IMOCA, le cœur est très sollicité explique t-il. Les manœuvres s’effectuent sans échauffement, et sont d’une rare violence. » Un bilan sanguin est également obligatoire, tout comme une fiche plus personnelle, sorte de carte d’identité médicale pouvant être transmise à des services de secours en cas d’accident, comme par exemple au CCMM (Centre de Consultation Médicale Maritime) dépendant du CHU de Toulouse, véritable « Samu » des marins.
Un navigateur partant pour le tour du monde en solitaire, n’effectue pas que des stages météo.
Une formation médicale hauturière doit être impérativement faite, en plus de celle consacrée aux premiers secours en mer.
En clair, un skipper - qui plus est blessé - doit savoir poser une attelle ou une perfusion, se faire une injection en intraveineuse seul... et ce dans un tambour de machine à laver ! Ils ont donc tous suivi des formations encadrées par des médecins urgentistes. Ils ont révisé les protocoles d’usage avec un médecin à distance, ils se sont entraînés à réaliser des points de suture sur un pied de cochon, ont travaillé sur la connaissance des produits composant la trousse à pharmacie préparée par le docteur Chauve, et ont appris à bien utiliser les instruments en cas de traumatologie.
Ces sessions, initialement mises en place pour les marins professionnels - qui disputent le Vendée Globe, la Solitaire du Figaro, la Route du Rhum, la Transat Jacques Vabre ou encore la Mini Transat – s’adressent désormais aussi aux plaisanciers projetant de partir en grande croisière lors d’une année sabbatique, ou tout simplement pour une navigation hauturière. Tout navigateur ou régatier amateur peut donc désormais suivre ces stages, et également se faire conseiller pour constituer la trousse à pharmacie. « Le fait d’associer professionnels et amateurs lors de ces formations est très enrichissant pour tous. Il y a beaucoup d’échanges et de retours d’expérience », se réjouit le docteur Chauve. Et dans le contexte très anxiogène d’un accident en pleine mer et loin de tout, il est indispensable que les marins soient familiarisés avec ces gestes appris au préalable.
Quand on voit que sur un bateau, on arrive à se casser un fémur qui est l’os le plus solide du corps, cela montre que les vitesses atteintes sont devenues très importantes.
Jean-Yves Chauve
Tout le monde ou presque a encore en mémoire Bertrand de Broc se recousant la langue avec du fil et une aiguille, guidé par radio en 1992 dans l’Océan Indien. Jean-Yves Chauve n’a pas oublié : « À l’époque, j’avais mis dans les trousses à pharmacie de grandes aiguilles droites que l’on n’utilise pourtant jamais pour faire des points de suture, car dans ces années les skippers n’avaient pas encore de formation avec les aiguilles courbes spécifiques utilisées avec une pince (un porte-aiguille ; ndlr). Et Bertrand de Broc avait pu ligaturer avec succès son appendice buccal face à un petit miroir. » Chaque concurrent possède dans sa trousse des produits polyvalents et facilement répertoriés, comme du Valium qui a un double but ; celui d’être outre un anxiolytique, un relaxant musculaire. On trouve aussi des dérivés morphiniques en cas de douleur intense… mais qui sont forcément sur la liste des produits autorisés, ces sportifs pouvant faire l’objet d’un contrôle anti-dopage à leur arrivée. Jean-Yves Chauve a régulièrement des appels pour des « douleurs lombaires, plaies ou bosses, soucis de peau ou problèmes digestifs… bref des maux très classiques et de la médecine de cabinet ».
En revanche, l’accident de Yann Eliès en 2008, a prouvé que ces IMOCA pouvaient être dangereux. « Quand on voit que sur un bateau, on arrive à se casser un fémur qui est l’os le plus solide du corps, cela montre que les vitesses atteintes sont devenues très importantes. Cet accident le prouve », explique Jean-Yves Chauve. Aujourd’hui, il faut sans doute réfléchir à des airbags à bord des bateaux, les protections et les casques ne suffisant pas en cas de choc très violent semblable à celui que l’on peut rencontrer en voiture.
Tout le monde s’accorde à dire que les bateaux de nouvelle génération sont de plus en plus rapides donc violents et bruyants (jusqu’à 120 décibels soit un avion au décollage ; ndlr), et peuvent entraîner, par manque de sommeil, une hypovigilance avec les risques que cela comporte sur le pont… Et dans une épreuve aussi longue et exigeante que le Vendée Globe « veiller à ne pas se mettre dans le rouge » est une obsession de tous les instants. « Après seize heures sans sommeil, le degré de vigilance est équivalent à celui d’une personne ayant un taux d’alcoolémie de 0,5 gramme » explique Jean-Yves Chauve. La perte de vigilance est l’ennemi juré du solitaire, avec les risques que l’on imagine.
La majorité des navigateurs sont suivis par des spécialistes du sommeil, afin d’optimiser leurs phases de repos que ce soit dans le sommeil profond ou paradoxal. Le sommeil profond est caractérisé par une baisse de l'activité physique et cérébrale permettant ainsi au corps de se reposer. Quant au sommeil paradoxal, qui est la phase la plus courte du cycle du sommeil, il est caractérisée par une activité cérébrale intense, ce sommeil est essentiel pour le mental, car c’est dans le sommeil paradoxal que 90 % des rêves se produisent. Les rêves permettent aux informations collectées durant la journée d’être traitées et assimilées par le cerveau. Un équilibre se crée au niveau psychique en travaillant sur les émotions, l'apprentissage et la mémorisation.
Par conséquence, si l’on n’en est privé c’est là qu’arrivent les hallucinations... Lors du Vendée Globe, les navigateurs dorment généralement de quatre à six heures par 24 heures, avec des cycles de 20 à 30 minutes, alors qu’un adulte à terre a besoin en moyenne, d’au moins sept heures de sommeil par nuit.
" Il n’a encore jamais vu un tel taux d’iode dans le sang d’un homme "
Si dans les mers du Sud il est rare d’attraper des virus que nous terriens sommes susceptibles d’avoir dans le métro ou le bus comme la grippe ou encore la gastro-entérite, voici une anecdote qui ne manque pas de sel. Jean-Yves Chauve, fort de 25 ans de Vendée Globe, cite volontiers le navigateur Yves Parlier arrivant aux Sables d’Olonne au printemps 2001, après 126 jours de mer suite à son escale forcée en Nouvelle Zélande pour fabriquer un nouveau mât.
« Une fois la ligne d’arrivée franchie, j’embarque Yves au laboratoire afin de lui faire faire une prise de sang. Après analyse, le biologiste est effaré, me disant qu’il n’a encore jamais vu un tel taux d’iode dans le sang d’un homme. S’étant nourri d’algues pendant des semaines et des semaines, son taux était dix fois supérieur à la normale… L’iode est un élément indispensable au bon fonctionnement de la thyroïde (qui régule notre métabolisme) mais peut être dangereux pour la santé. Heureusement pour Yves, son fort taux d’iode, n’était malgré tout, pas assez élevé pour le mettre directement en danger ! »
News
Voilà maintenant 2 mois que les skippers du Vendée Globe ont quitté les pontons des Sables d’Olonne. En tête depuis plus de 34 jours consécutifs, Armel Le Cléac’h possède ce matin environ 320 milles d’avance sur son dauphin, le Gallois Alex Thomson. Dans un vent d’alizé de secteur sud-est qui a tendance à perdre en intensité au fur et à mesure qu’Armel se rapproche du Pot au noir, le skipper du Mono Banque Populaire VIII est à environ 150 milles de l’équateur. Cette ligne imaginaire qui sépare l’hémisphère Nord et Sud devrait être « franchie » dans la journée.
Ce matin, Armel est entré dans les prémices d’un Pot au noir qui semble très actif. Cette Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) semble l’accompagner vers le Nord retardant sa remontée de l’Atlantique, il devrait mettre tout le week-end à la traverser. Les systèmes météo classiques sont complètement bouleversés ne facilitant pas la tâche au skipper de Banque Populaire qui, depuis le passage du rocher, doit se creuser les méninges. Joint par son équipe à terre, Armel préfère prendre les choses avec philosophie et progresser étape par étape pour arriver à bon port aux Sables d’Olonne. Entretien dans l’après-midi, entre deux grains.

Après 72h de combat acharné, Armel a, ce matin, enfin pu s’extraire du Pot au noir ! Cette Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) particulièrement large et qui avait tendance à suivre la progression d’Armel, a réservé son lot de surprises au skipper du Mono Banque Populaire VIII. Armel a dû manœuvrer à la recherche du moindre souffle, laissant son poursuivant remonter à 77 milles derrière lui. Ce midi, le Mono Banque Populaire VIII navigue à 13,2 nœuds et progresse vers le Nord.

Depuis 24h, le skipper du Mono Banque Populaire VIII navigue en moyenne 3 nœuds plus vite que son principal concurrent, Alex Thomson (Hugo Boss) ce qui lui permet de doubler son avance. Au dernier pointage de 9h, Armel comptait 191,9 milles d’avance sur le Gallois. Après un Pot au noir difficile, Armel bénéficie d’un flux d’Est d’une quinzaine de nœuds qui devrait le mener jusqu’au Açores. Autrement dit, les prochaines 48 heures devraient se résumer à une course de vitesse entre les deux leaders.