Trindade et Martin Vaz

Ils n’ont pas l’intention de s’y attarder. Après avoir traversé le Pot-au-noir et franchi l’Équateur, les concurrents en Ultime de la Transat Jacques Vabre descendront jusqu’à l’archipel de Trindade et Martin Vaz avant de mettre le cap vers les Antilles. L’endroit est particulièrement hostile, même pour les plus aventuriers des skippers. Lors du Vendée Globe 1996-1997, un concurrent, Raphaël Dinelli, tente d’y mouiller pour réparer une drisse. Sauf que ce caillou sombre ne se fait pas facilement approcher, les courants y sont forts : le skipper
n’avait pas réussi à y jeter l’encre. Pourtant, l’archipel est connu des marins à l’occasion de leurs descentes successives de l’Atlantique. Lors du Vendée Globe, Clarisse Crémer, à bord de Banque Populaire X, avait même immortalisé l’instant. Tout sourire, elle pointait du doigt ce caillou qui semblait sorti de terre. « Je m’y serais bien arrêtée », avait alors confié la jeune navigatrice. Pourtant, le rêve est difficilement accessible et pour cause : l’archipel est interdit aux touristes.
Halley, la comète et le désastre
Situé à 1 100 km des terres brésiliennes, il est minuscule à l’échelle de l’Atlantique et ses 82 millions carrés : l’île principale, Trinité, n’est grande que de 10,1 km2, un petit confetti découvert par un navigateur galicien, João da Nova, en 1501. Il était alors en mission pour les autorités portugaises et c’est eux qui ont rebaptisé l’endroit du nom du cousin de Vasco de Gama. Les explorateurs du moment ne s’y aventuraient pas : l’île était trop loin du Nouveau monde, sa surface réduite et ses allures rocailleuses n’avaient d’ailleurs pas les attraits du continent attenant. Il a fallu attendre 1700 pour qu’un homme s’y attarde longtemps. Il s’agit d’un astronome britannique, Edmond Halley. Connu pour avoir découvert une comète qui porte désormais son nom, il était aussi explorateur. De quoi faire grincer des dents : en débarquant sur le caillou, le scientifique crée un conflit diplomatique avec le Portugal en revendiquant le rattachement de l’archipel au Royaume-Uni.
Mais ce n’est pas son seul faux pas. En débarquant sur l’île, il ramène aussi plusieurs animaux qui ont survécu au long voyage à travers l’Atlantique. Les tortues, crabes, oiseaux qui peuplaient le territoire avec quiétude sont soudainement obligés de cohabiter avec des chèvres, brebis et porcs venus d’Angleterre. Une colonisation version animale : 300 ans plus tard, en 1994, les autorités brésiliennes dénombrent 800 chèvres, 600 brebis et des centaines de porcs sur l’île !
Tout l’écosystème de l’île est alors menacé. Les tortues vertes, dont leur colonie est la 2e plus importante de l’Atlantique sud, ne peuvent plus s’y reproduire. Les arbres ont quasiment disparu de la surface de l’île et les crabes jaunes sont plus que jamais en voie d’extinction. Suite à la demande des scientifiques du Musée national de Rio, le Brésil se lance alors dans un vaste plan d’éradication. Depuis, les missions scientifiques, encadrés par la présence d’une trentaine de militaires, se succèdent afin de veiller à la réappropriation de l’île par la faune et la flore qui s’y étaient développées.
Si elle reste une espèce en voie de disparition, la population de crabes jaunes est moins menacée. La communauté de tortues vertes a également repris des couleurs : plus de 3 600 nids étaient répertoriés en 2016. Le lointain caillou, point de passage à contourner pour les skippers, a enfin retrouvé sa quiétude d’antan.